Eh oui, comme vous êtes des petits chanceux (et que le chapitre deux est très courts), ce soir, deux chapitres pour le prix d'un ! Bonne lecture.

 

Chapitre deux

 

Dernière nuit

 

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         Comme tous les vendredis soir, juste avant minuit, Galiem emprunte le tunnel 25 en direction du compartiment B-K. Cela fait maintenant six semaines que les choses sérieuses ont commencé. La génératrice est presque achevée. Durant ces six semaines, elle a manqué de se faire arrêter deux fois et s’est vue dans l’obligation de tuer six parasix. Tout cela était nécessaire. Mais ce soir, tout va changer. Elle va pouvoir laver ses crimes et redémarrer une nouvelle vie.         
         Ne manquant pas à son habitude, elle a pris soin d’envelopper sa fine silhouette dans sa cape d’androctonus. Une mèche auburn et bouclée dépasse de la capuche qui recouvre sa tête mais ne trahit en rien son identité lorsqu’elle croise un mécha-garde delta en chemin. Montrant sa fausse plaque d’identification pour duper la pauvre machine mal programmée, elle passe inaperçue et peut poursuivre son chemin vers l’atelier.  
         Elle se demande comment se déroule le plan de l’autre côté du Gouffre. Si tout se passe comme prévu, c’est la dernière fois qu’elle verra des humains prisonniers de l’obscurité des tunnels de Sindsro. Cela fait trop longtemps qu’ils sont privés de l’air extérieur, et si les dégâts sont réellement tels que les purificateurs le prétendent, alors elle veut en avoir le cœur net, et elle combattra pour offrir à tout le monde une vie meilleure. Ce soir, l’échec n’est pas une option !
         Marchant d’un pas lent et détendu malgré sa nervosité extrême, Galiem finit par arriver au compartiment B-K, quelques minutes après l’heure prévue. Elle vérifie qu’elle est seule et saisit en toute hâte le code de sécurité piraté par Jiruo. Sans lui, rien de tout ça n’aurait été possible, et dès qu’elle aura libéré Sindsro de l’emprise du général Vold, alors elle viendra le sortir de prison, comme elle l’a promis. Elle sait qu’il souffre, seul dans sa cellule, en plein cœur de la citadelle rouge. Mais elle connaît les égouts de Dinistrio comme sa poche. Elle a grandi dans l’obscurité et la puanteur du quartier Glagoli. Elle saura se transformer en cette ombre invisible et meurtrière que les scorpts redoutent tant alors qu’elle traversera les fondations de la citadelle.

 

– Tu abuses Gal, tu aurais pu me dire que tu avais des gênes d’escargots. J’ai bien cru que j’allais mourir d’ennui à t’attendre !

 

La voix moqueuse s’échappant du compartiment B-K simultanément à l’ouverture de sa porte n’est autre que celle de Neir. Galiem regarde sa silhouette trapue en souriant et réplique, sans même ciller : 

 

– Eh oui mon chou, je prends mon temps. Tout le monde n’est pas comme toi et n’a pas besoin de courir pour perdre des kilos en trop.       

 

Elle entre alors dans la pénombre du compartiment, dépose un baiser sur le front du jeune homme et ajoute, tout en ébouriffant ses cheveux :

 

– J’espère que tu te sens prêt.   
         La porte se referme en silence derrière Galiem. Avec des gestes d’une précision chirurgicale, elle se met alors à la tâche, sans dire un mot. Neir la regarde avec de la peine au fond des yeux. Il sait que c’est probablement la dernière fois qu’il la revoit. Pendant qu’elle achève les préparatifs, il vérifie une dernière fois son équipement. En regardant ses récepteurs tachyoniques, il sent son vieil ami le remords s’emparer de lui tout entier. Si la situation a tant dégénérée, c’est de sa faute, il le sait. Aujourd’hui, il est prêt à assumer les conséquences de ses actes et à réparer le monde, même s’il ne doit jamais en revenir. 
         Galiem met en place la dernière pièce. La génératrice d’extra-réalité est prête et semble fonctionnelle. Neir prend alors la main de sa bien-aimée, tout en tenant le levier de la machine dans son autre main. Il l’enclenche en fermant les yeux, mettant ainsi en route le compte à rebours.   
         Cinq. La main de Galiem a un léger soubresaut.     
         Quatre. Neir sent un frisson parcourir son dos. Son ventre est étreint par la peur d’échouer lamentablement. 
         Trois. Le doute l’envahit, mais il est trop tard pour reculer. Le monde a trop changé et il ne peut plus supporter de vivre ainsi ni de voir les autres souffrir perpétuellement par sa faute. Il veut retrouver sa planète natale telle qu’elle était avant la fusion, sans aucun scorpts ni autres horreurs du même genre.     
         Deux. Galiem et Neir s’enlacent en laissant chacun couler une larme.        
         Un. Baiser d’adieu.     
         Zéro.


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Chapitre trois

 

Arthuros Vold

 

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– Général, une distorsion de niveau quatre a été repérée dans le secteur B de Sindsro à 00 h 27, heure locale. Quels sont vos ordres ? 
         La voix du mécha-garde beta, bien que froide et inexpressive, semble trahir une réelle tension en prononçant ces mots. Son lourd corps métallique agenouillé face au trône de son maître, il attend une réponse de ce dernier. Ses capteurs indiquent que l’air est assez chaud et sec pour la saison. S’il avait eu la tête relevé, ses orbites oculaires lui auraient en plus transmis l’image du général. Très grand pour une personne de son espèce, le visage décoré par une barbe blanche de trois jours, des rides creusées par l’anxiété et des cernes trahissant une fatigue que seul un être humain peut ressentir. Les nombreuses cicatrices recouvrant son visage prouvent sa détermination et sa force. Le général est connu pour n’avoir peur de rien, n’avoir aucun point faible, et un simple regard de sa part inspire la crainte et le respect à n’importe quelle espèce de cette planète.      
         L’annonce du mécha irrite l’homme au plus haut point. Dans une démonstration de colère soudaine, ses pupilles se dilatent dangereusement, accompagnant une voix anormalement puissante et surarticulée.
         – Oubliez cet incident. Il y a de plus en plus de distorsions ces temps-ci. La meilleure des décisions aurait été de ne pas venir me déranger à une telle heure. Vous pensiez réellement que j’allais m’affoler pour une si petite broutille ? Dois-je vous rappeler qui je suis et pourquoi vous êtes ici ?     
         La voix du général se répercute en un millier d’échos sur les murs violacés et sur les piliers nacrés de la salle d’audience. Une puissance sonore aussi inattendue de la part d’une voix humaine fait trembler les circuits phonoélectriques du géant métallique, causant de peu une surcharge paralysante. Son cerveur – équivalant du cerveau humain sous forme de processeur – est soudain surchargé d’informations inconnues et donc impossibles à traiter. N’ayant pas été programmé pour gérer une telle anormalité sonore lors d’une conversation, le mécha se met à bégayer tout en quittant la salle d’un pas à la fois révérencieux et maladroit.      
         – Pa… pa… pardon Mons…s…sieur. Ex… exc… cucu… excusez-moi d… d… de vous a… zavoir dé… dér… dé… dérangé.      
         Arthuros Vold regarde le MGB – c’est-à-dire le mécha-garde beta – sortir de la salle, s’étonnant comme à chaque fois de l’incroyable silence de son déplacement alors que cet être de métal doit probablement peser plusieurs tonnes. La scène est d’autant plus surprenante que la démarche du mécha ressemble à s’y méprendre à la danse d’un unijambiste funambule à laquelle il a assisté quelques semaines auparavant.

 

Si ce n’était la couleur bleue de sa carrosserie, ce mécha serait identique aux autres membres de son espèce, mais dans la hiérarchie du Système, les couleurs représentent le grade et les pouvoirs qu’une personne possède.      
         Les êtres vivants parés de rouge, qu’ils soient scorpts, méchas, parasix ou humains, ont un grade alpha. En haut de l’échelle sociale, ils ont les pleins pouvoirs et peuvent mettre à mort n’importe quel être de grade inférieur, peu importe sa race. Tous dotés d’une vitesse et d’une force anormalement élevées, leur intellect est surdéveloppé grâce à la Grande Toxine qui coule dans leurs veines. Le général Vold fait partie de cette élite de la population mondiale. Il ne quitte son armure rouge que pour prendre un bain ou faire l’amour à une de ses maîtresse scorpt.   
         En-dessous des alphas, trois autres grades : les betas en bleu, les gammas en jaune et enfin les deltas en gris clair. Ces derniers peuvent être des méchas présentant des défauts de conception, des parasix mutants, ou encore des êtres humains atteints d’une maladie incurable. Leur rôle dans la société est de moindre importance. Ils se contentent d’accomplir les tâches ingrates ou sans conséquence sur l’ordre du Système. Et si une seule unité, de n’importe quelle espèce, tente de rompre l’ordre, alors elle est enfermée pour l’éternité dans la citadelle rouge de Dinistrio, capitale mondiale humaine, gouvernée d’une main de fer par Athuros Vold.

 

Regardant par la fenêtre hermétique de sa salle d’audience, il repense à l’époque lointaine où il était possible d’observer des arbres vivants, des hirondelles dans le ciel et de l’eau non polluée coulant en ruisseaux un peu partout sur la planète… une époque où il était possible de sortir sans combinaison protectrice et sans arme. Il revoit ce jour maudit où les univers ont fusionnés en faisant disparaître le temps. Plus de passé, plus de présent, plus de futur, et pourtant, le calendrier et les heures continuent d’être maintenus, comme si tout le monde gardait l’espoir secret de retrouver un jour une vie normale.      
         Souriant à cause de cette pensée ridicule, le général retourne vers son lit. Il se demande à quoi peut bien servir d’avoir créé des messagers si l’on ne s’en sert jamais. Le rôle d’un garde est de :        
         * Surveiller qu’il n’y a pas d’intrus dans les rues pour les deltas ;       
         * Poursuivre les malfaiteurs en liberté pour les gammas ; 
         * Assurer la sécurité des lieux importants pour les betas ;
         * Commander les troupes en cas de guerre pour les alphas.      
Bien entendu, en venant lui parler d’une distorsion dans l’ancien monde, le MGB avait signalé un problème concernant son rôle immédiat, mais envoyer un MMB – mécha-messager beta – aurait été plus approprié. Pourquoi avoir construit le Système si ses fonctions les plus simples ne sont même pas respectées ? Bientôt, on enverra des HPA – humains-purificateurs alphas – pour nettoyer les appartements de l’Impératrice !        
         Cette pensée intérieure fait rire le général à haute voix pendant qu’il rejoint son lit et sa compagne de la nuit, Butisca, présente chaque vendredi soir pour lui offrir tous les délices qu’un homme de son rang mérite de connaitre. Il regarde sa peau noire zébrée d’ondulations cuivrées au reflet plus fascinant que celui d’une pépite d’or pur. Elle se tourne vers lui, ses yeux aux iris orangés et aux pupilles céruléennes mis-clos, pour murmurer d’une voix sensuellement voilée :  
         – Pourquoi ries-tu ainsi ? Encore une de tes fameuses blagues que toi-seul arrive à comprendre ?     
         Arthuros lui sourit. De toute ses maîtresses, Butisca est sans aucun doute sa préférée. Et maintenant qu’il est réveillé, il compte bien profiter de ce que la scorpt est prête à lui donner. Tel un aventurier partant à la conquête d’un nouveau continent, il explorera les plaines et les dunes qui se présenteront à lui, pour finalement trouver une terre fertile où s’installer. Lors de leur étreinte passionnée, Butisca enserrera de toutes ses forces le général dans son métasoma, long d’un mètre et pourvu d’un aiguillon mortel en son extrémité. Devenu une simple proie, Arthuros se fera l’esclave de tous les désirs de sa compagne. Elle relâchera son emprise avant le grand final, pour laisser son aiguillon se balader librement au-dessus de son jouet humain. Finalement, elle lui infligera une piqûre normalement mortelle pour n’importe quelle autre personne. Mais pour le général, cette piqûre venimeuse est un bienfait, une drogue euphorisante, seule capable de calmer ses angoisses et ses tensions perpétuelles. C’est un alpha. Il ne craint pas le venin scorpt. Sa seule crainte est inconnue de tous, et pourtant, elle le tourmente perpétuellement en secret. Comment aurait-il pu imaginer qu’il allait se retrouver confronté à elle aussi rapidement, simplement parce qu’il n’avait pas écouté un mécha-garde beta ?