Brouille-mot

Mon roman n'a pas encore de titre... mon blog non plus !

Jeudi 2 août 2012 à 4:24

Eh oui, comme vous êtes des petits chanceux (et que le chapitre deux est très courts), ce soir, deux chapitres pour le prix d'un ! Bonne lecture.

 

Chapitre deux

 

Dernière nuit

 

http://brouille-mot.cowblog.fr/images/saharableunuit.jpg

         Comme tous les vendredis soir, juste avant minuit, Galiem emprunte le tunnel 25 en direction du compartiment B-K. Cela fait maintenant six semaines que les choses sérieuses ont commencé. La génératrice est presque achevée. Durant ces six semaines, elle a manqué de se faire arrêter deux fois et s’est vue dans l’obligation de tuer six parasix. Tout cela était nécessaire. Mais ce soir, tout va changer. Elle va pouvoir laver ses crimes et redémarrer une nouvelle vie.         
         Ne manquant pas à son habitude, elle a pris soin d’envelopper sa fine silhouette dans sa cape d’androctonus. Une mèche auburn et bouclée dépasse de la capuche qui recouvre sa tête mais ne trahit en rien son identité lorsqu’elle croise un mécha-garde delta en chemin. Montrant sa fausse plaque d’identification pour duper la pauvre machine mal programmée, elle passe inaperçue et peut poursuivre son chemin vers l’atelier.  
         Elle se demande comment se déroule le plan de l’autre côté du Gouffre. Si tout se passe comme prévu, c’est la dernière fois qu’elle verra des humains prisonniers de l’obscurité des tunnels de Sindsro. Cela fait trop longtemps qu’ils sont privés de l’air extérieur, et si les dégâts sont réellement tels que les purificateurs le prétendent, alors elle veut en avoir le cœur net, et elle combattra pour offrir à tout le monde une vie meilleure. Ce soir, l’échec n’est pas une option !
         Marchant d’un pas lent et détendu malgré sa nervosité extrême, Galiem finit par arriver au compartiment B-K, quelques minutes après l’heure prévue. Elle vérifie qu’elle est seule et saisit en toute hâte le code de sécurité piraté par Jiruo. Sans lui, rien de tout ça n’aurait été possible, et dès qu’elle aura libéré Sindsro de l’emprise du général Vold, alors elle viendra le sortir de prison, comme elle l’a promis. Elle sait qu’il souffre, seul dans sa cellule, en plein cœur de la citadelle rouge. Mais elle connaît les égouts de Dinistrio comme sa poche. Elle a grandi dans l’obscurité et la puanteur du quartier Glagoli. Elle saura se transformer en cette ombre invisible et meurtrière que les scorpts redoutent tant alors qu’elle traversera les fondations de la citadelle.

 

– Tu abuses Gal, tu aurais pu me dire que tu avais des gênes d’escargots. J’ai bien cru que j’allais mourir d’ennui à t’attendre !

 

La voix moqueuse s’échappant du compartiment B-K simultanément à l’ouverture de sa porte n’est autre que celle de Neir. Galiem regarde sa silhouette trapue en souriant et réplique, sans même ciller : 

 

– Eh oui mon chou, je prends mon temps. Tout le monde n’est pas comme toi et n’a pas besoin de courir pour perdre des kilos en trop.       

 

Elle entre alors dans la pénombre du compartiment, dépose un baiser sur le front du jeune homme et ajoute, tout en ébouriffant ses cheveux :

 

– J’espère que tu te sens prêt.   
         La porte se referme en silence derrière Galiem. Avec des gestes d’une précision chirurgicale, elle se met alors à la tâche, sans dire un mot. Neir la regarde avec de la peine au fond des yeux. Il sait que c’est probablement la dernière fois qu’il la revoit. Pendant qu’elle achève les préparatifs, il vérifie une dernière fois son équipement. En regardant ses récepteurs tachyoniques, il sent son vieil ami le remords s’emparer de lui tout entier. Si la situation a tant dégénérée, c’est de sa faute, il le sait. Aujourd’hui, il est prêt à assumer les conséquences de ses actes et à réparer le monde, même s’il ne doit jamais en revenir. 
         Galiem met en place la dernière pièce. La génératrice d’extra-réalité est prête et semble fonctionnelle. Neir prend alors la main de sa bien-aimée, tout en tenant le levier de la machine dans son autre main. Il l’enclenche en fermant les yeux, mettant ainsi en route le compte à rebours.   
         Cinq. La main de Galiem a un léger soubresaut.     
         Quatre. Neir sent un frisson parcourir son dos. Son ventre est étreint par la peur d’échouer lamentablement. 
         Trois. Le doute l’envahit, mais il est trop tard pour reculer. Le monde a trop changé et il ne peut plus supporter de vivre ainsi ni de voir les autres souffrir perpétuellement par sa faute. Il veut retrouver sa planète natale telle qu’elle était avant la fusion, sans aucun scorpts ni autres horreurs du même genre.     
         Deux. Galiem et Neir s’enlacent en laissant chacun couler une larme.        
         Un. Baiser d’adieu.     
         Zéro.


 ______________________________________________________________________


 

Chapitre trois

 

Arthuros Vold

 

http://brouille-mot.cowblog.fr/images/vortex3.jpg 

 

– Général, une distorsion de niveau quatre a été repérée dans le secteur B de Sindsro à 00 h 27, heure locale. Quels sont vos ordres ? 
         La voix du mécha-garde beta, bien que froide et inexpressive, semble trahir une réelle tension en prononçant ces mots. Son lourd corps métallique agenouillé face au trône de son maître, il attend une réponse de ce dernier. Ses capteurs indiquent que l’air est assez chaud et sec pour la saison. S’il avait eu la tête relevé, ses orbites oculaires lui auraient en plus transmis l’image du général. Très grand pour une personne de son espèce, le visage décoré par une barbe blanche de trois jours, des rides creusées par l’anxiété et des cernes trahissant une fatigue que seul un être humain peut ressentir. Les nombreuses cicatrices recouvrant son visage prouvent sa détermination et sa force. Le général est connu pour n’avoir peur de rien, n’avoir aucun point faible, et un simple regard de sa part inspire la crainte et le respect à n’importe quelle espèce de cette planète.      
         L’annonce du mécha irrite l’homme au plus haut point. Dans une démonstration de colère soudaine, ses pupilles se dilatent dangereusement, accompagnant une voix anormalement puissante et surarticulée.
         – Oubliez cet incident. Il y a de plus en plus de distorsions ces temps-ci. La meilleure des décisions aurait été de ne pas venir me déranger à une telle heure. Vous pensiez réellement que j’allais m’affoler pour une si petite broutille ? Dois-je vous rappeler qui je suis et pourquoi vous êtes ici ?     
         La voix du général se répercute en un millier d’échos sur les murs violacés et sur les piliers nacrés de la salle d’audience. Une puissance sonore aussi inattendue de la part d’une voix humaine fait trembler les circuits phonoélectriques du géant métallique, causant de peu une surcharge paralysante. Son cerveur – équivalant du cerveau humain sous forme de processeur – est soudain surchargé d’informations inconnues et donc impossibles à traiter. N’ayant pas été programmé pour gérer une telle anormalité sonore lors d’une conversation, le mécha se met à bégayer tout en quittant la salle d’un pas à la fois révérencieux et maladroit.      
         – Pa… pa… pardon Mons…s…sieur. Ex… exc… cucu… excusez-moi d… d… de vous a… zavoir dé… dér… dé… dérangé.      
         Arthuros Vold regarde le MGB – c’est-à-dire le mécha-garde beta – sortir de la salle, s’étonnant comme à chaque fois de l’incroyable silence de son déplacement alors que cet être de métal doit probablement peser plusieurs tonnes. La scène est d’autant plus surprenante que la démarche du mécha ressemble à s’y méprendre à la danse d’un unijambiste funambule à laquelle il a assisté quelques semaines auparavant.

 

Si ce n’était la couleur bleue de sa carrosserie, ce mécha serait identique aux autres membres de son espèce, mais dans la hiérarchie du Système, les couleurs représentent le grade et les pouvoirs qu’une personne possède.      
         Les êtres vivants parés de rouge, qu’ils soient scorpts, méchas, parasix ou humains, ont un grade alpha. En haut de l’échelle sociale, ils ont les pleins pouvoirs et peuvent mettre à mort n’importe quel être de grade inférieur, peu importe sa race. Tous dotés d’une vitesse et d’une force anormalement élevées, leur intellect est surdéveloppé grâce à la Grande Toxine qui coule dans leurs veines. Le général Vold fait partie de cette élite de la population mondiale. Il ne quitte son armure rouge que pour prendre un bain ou faire l’amour à une de ses maîtresse scorpt.   
         En-dessous des alphas, trois autres grades : les betas en bleu, les gammas en jaune et enfin les deltas en gris clair. Ces derniers peuvent être des méchas présentant des défauts de conception, des parasix mutants, ou encore des êtres humains atteints d’une maladie incurable. Leur rôle dans la société est de moindre importance. Ils se contentent d’accomplir les tâches ingrates ou sans conséquence sur l’ordre du Système. Et si une seule unité, de n’importe quelle espèce, tente de rompre l’ordre, alors elle est enfermée pour l’éternité dans la citadelle rouge de Dinistrio, capitale mondiale humaine, gouvernée d’une main de fer par Athuros Vold.

 

Regardant par la fenêtre hermétique de sa salle d’audience, il repense à l’époque lointaine où il était possible d’observer des arbres vivants, des hirondelles dans le ciel et de l’eau non polluée coulant en ruisseaux un peu partout sur la planète… une époque où il était possible de sortir sans combinaison protectrice et sans arme. Il revoit ce jour maudit où les univers ont fusionnés en faisant disparaître le temps. Plus de passé, plus de présent, plus de futur, et pourtant, le calendrier et les heures continuent d’être maintenus, comme si tout le monde gardait l’espoir secret de retrouver un jour une vie normale.      
         Souriant à cause de cette pensée ridicule, le général retourne vers son lit. Il se demande à quoi peut bien servir d’avoir créé des messagers si l’on ne s’en sert jamais. Le rôle d’un garde est de :        
         * Surveiller qu’il n’y a pas d’intrus dans les rues pour les deltas ;       
         * Poursuivre les malfaiteurs en liberté pour les gammas ; 
         * Assurer la sécurité des lieux importants pour les betas ;
         * Commander les troupes en cas de guerre pour les alphas.      
Bien entendu, en venant lui parler d’une distorsion dans l’ancien monde, le MGB avait signalé un problème concernant son rôle immédiat, mais envoyer un MMB – mécha-messager beta – aurait été plus approprié. Pourquoi avoir construit le Système si ses fonctions les plus simples ne sont même pas respectées ? Bientôt, on enverra des HPA – humains-purificateurs alphas – pour nettoyer les appartements de l’Impératrice !        
         Cette pensée intérieure fait rire le général à haute voix pendant qu’il rejoint son lit et sa compagne de la nuit, Butisca, présente chaque vendredi soir pour lui offrir tous les délices qu’un homme de son rang mérite de connaitre. Il regarde sa peau noire zébrée d’ondulations cuivrées au reflet plus fascinant que celui d’une pépite d’or pur. Elle se tourne vers lui, ses yeux aux iris orangés et aux pupilles céruléennes mis-clos, pour murmurer d’une voix sensuellement voilée :  
         – Pourquoi ries-tu ainsi ? Encore une de tes fameuses blagues que toi-seul arrive à comprendre ?     
         Arthuros lui sourit. De toute ses maîtresses, Butisca est sans aucun doute sa préférée. Et maintenant qu’il est réveillé, il compte bien profiter de ce que la scorpt est prête à lui donner. Tel un aventurier partant à la conquête d’un nouveau continent, il explorera les plaines et les dunes qui se présenteront à lui, pour finalement trouver une terre fertile où s’installer. Lors de leur étreinte passionnée, Butisca enserrera de toutes ses forces le général dans son métasoma, long d’un mètre et pourvu d’un aiguillon mortel en son extrémité. Devenu une simple proie, Arthuros se fera l’esclave de tous les désirs de sa compagne. Elle relâchera son emprise avant le grand final, pour laisser son aiguillon se balader librement au-dessus de son jouet humain. Finalement, elle lui infligera une piqûre normalement mortelle pour n’importe quelle autre personne. Mais pour le général, cette piqûre venimeuse est un bienfait, une drogue euphorisante, seule capable de calmer ses angoisses et ses tensions perpétuelles. C’est un alpha. Il ne craint pas le venin scorpt. Sa seule crainte est inconnue de tous, et pourtant, elle le tourmente perpétuellement en secret. Comment aurait-il pu imaginer qu’il allait se retrouver confronté à elle aussi rapidement, simplement parce qu’il n’avait pas écouté un mécha-garde beta ?

Lundi 30 juillet 2012 à 1:11

Premier article de ce blog. Je vous rappelle qu'il s'agit d'un blog "secondaire", mon blog principal étant http://musicalanscape.fr (aussi sur cowblog). Je souhaiterai recueillir un maximum d'avis, en prenant aussi en compte qui vous êtes. Vous pouvez rester anonymes, mais si vous commentez et êtes d'accord, j'aimerai savoir votre sexe, votre âge, et vos habitudes de lecture (fréquence, quels types d'ouvrages, etc)... Dans tous les cas, j'espère que ce début vous plaira. Les premiers chapitres seront assez courts, mais plus on avancera dans l'histoire, plus ils seront longs. Le chapitre un est assez différent du reste du livre... ne soyez donc pas désarçonnés quand je mettrai en ligne la suite. Sur ce, je vous fait un simple copier coller de la "vraie" mise en page de mon premier chapitre, en ajoutant une image pour rendre cela moins aride... bonne lecture !


 

Chapitre un

 

Solitude désertique

 

http://brouille-mot.cowblog.fr/images/desert11.jpg

 

         La chaleur étouffante de l’astre solaire existe-t-elle ? Au bout de plusieurs jours d’Exil, la jeune femme ne sait plus si tout cela est réel ou non. Tout n’est que fournaise, torpeur, désespoir, souffrance. Le début de ce cauchemar a-t-il commencé hier ou aujourd’hui ? Elle se retrouve malgré elle dans ce lieu maudit, avec pour seul compagnon de route sa propre voix, affaiblie, presque inaudible. Elle s’entend clairement parler mais ne sait plus si ses cordes vocales sont vraiment en action ou si ce qu’elle perçoit est simplement le fruit de son esprit lui jouant un mauvais tour.    
         Elle ne sait plus si son passé, qui l’a normalement menée ici, est réel. Elle ne sait plus ce que son cerveau a inventé et ce qu’elle a réellement vécu. Le doute infiltre son système nerveux, s’insinue dans ses veines et l’empoisonne depuis ce qui lui semble des journées, mais peut-être s’agit-il de mois, d’années, ou simplement de minutes. Grâce à elle, le temps n’existe plus, et comme pour ajouter un peu d’ironie à sa situation désespérée, elle se raccroche à lui, fidèle compagnon de son infortune et de sa déchéance.              
         Y a-t-il une chance de revoir un jour de la verdure ? Tout ce jaune pâle à perte de vue lui donne le tournis, et ça n’est surement pas le ciel, coloré d’un bleu menaçant, qui va lui permettre de reprendre ses esprits. Elle a envie de croire qu’elle est capable de s’en sortir. Elle continuera sa route et survivra, peu importe le prix à payer pour y parvenir.

 

Comme une pierre coulant au fond de l’océan, elle plonge dans les méandres tortueux de son esprit, suivant le mouvement de ses pieds meurtris qui s’enfoncent dans le sable brûlant. Chaque pas pourfend tout son corps comme un poignard invisible, aussi acéré que les griffes ayant pris la place de ce qui fût jadis ses ongles, petites œuvres d’art miniatures, bien manucurés et vernis à la perfection.                
         Les blessures augmentent en nombre et en force à chaque pas, mais elle sait que la douleur est son allié le plus précieux. Tant que la chair à vif touchant le sol brûlant lui fera monter les larmes aux yeux et parfois même crier, alors elle saura qu’elle est en vie. La souffrance physique n’est pas un frein à son périple. C’est elle qui fait grandir sa détermination à chaque seconde qui passe et qui lui offre un bouclier pour parer les attaques de son plus grand ennemi : elle-même.     
         L’étau enserrant son âme tente sans cesse de reprendre le dessus en la tourmentant violemment. La chaleur lui fait perdre toute notion du temps et de l’espace. Est-elle réellement là où elle pense se trouver ? Elle regarde autour d’elle et ne voit que du sable à l’infini, dans toutes les directions. Elle est la seule existence organique dans cet espace minéral. Pourquoi lutter ? Pourquoi avancer ? Elle a perdu tout ce qu’elle avait. Sa famille, ses amis, et bien sûr, Lui. Celui à qui elle a tout donné. Le seul dont l’intellect a dépassé le sien, perçant ses défenses mentales, torturant ses méninges, détruisant ses synapses, pour finalement briser son esprit et la conduire là où elle se trouve aujourd’hui.
         Désormais prisonnière, elle est perdue en plein milieu du Désert de la Solitude, seul endroit au monde d’où personne n’est jamais revenu après avoir été condamné à l’Exil.

 

Situé au beau milieu du Pacifique, c’est l’endroit le plus chaud au monde. Aucune végétation ni aucune faune n’y est recensée. C’est un endroit maudit, souvent qualifié d’Enfer sur Terre. Maintenant qu’elle se retrouve prise au piège ici, elle comprend mieux d’où vient ce surnom. La chaleur est telle que lorsqu’elle succombera, ça ne sera pas la faim où la soif qui l’emportera, mais bien la canicule extrême qui l’aura fait littéralement cuire de l’intérieur.     
         Souriant pour elle-même, elle revoit les images d’un dessin animé de sa jeunesse. Dedans, le diable voulait s’emparer de certains êtres humains pour les déguster, ces derniers étant représentés comme des poulets en train de rôtir. Voilà où l’a menée sa crédulité : cuire à petit feu, comme un vulgaire poulet ! Ça lui apprendra à ne pas avoir mieux défendu les droits des animaux lorsqu’elle faisait encore parti de l’Humanité.

 

Comment les événements ont-ils pu dégénérer ainsi ? Elle regarde le ciel comme elle aurait regardé son reflet dans le miroir quelques mois auparavant. Elle aurait contemplé son visage inexpressif, masquant parfaitement son optimisme légendaire et sa bienveillance envers les autres. Douce, attentionnée et altruiste, comment toutes ces qualités remarquables se sont-elles retournées contre elle ?
         Elle, dont le secret de la beauté résidait dans sa bonne humeur permanente, la voici transformée en un monstre repoussant. Ses longs cheveux, d’habitude soyeux et noirs comme l’ébène, sont devenus une crinière ébouriffée, rêche et grise, salie par l’air poussiéreux qui l’entoure. Comme un prolongement de sa personnalité, sa chevelure a tout perdu de son éclat passé. À la fois couronne d’épine et chemin de croix, elle sait que sa nouvelle apparence sera son fardeau jusqu’à son dernier souffle.       
         Mais que la mort s’empare d’elle ou non, qu’importe ? Elle a toujours eu l’allure d’un cadavre à tout point de vue, si bien que quelques années auparavant, ses camarades de classe l’avaient surnommée, avec toute la bienveillance du monde, " la Morte ". Sa minceur irréelle a toujours laissé voir chaque os de son squelette, son teint a toujours eu une lividité plus grande que celle d’un être décédé depuis plusieurs semaines, et ses yeux vitreux ont toujours été décorés de cernes profondément creusées au-dessus d’une bouche trop souvent dépourvue de sourire. Elle a toujours été la Morte, d’aussi loin qu’elle s’en souvienne. Vivante par les pensées et par les faites, mais morte par l’apparence.
         Depuis sa naissance, elle vit avec ce corps qui la trahit. Et pourtant, malgré son teint cireux et tous ses autres défauts, elle s’est toujours sentie heureuse, bien dans sa peau. Véritable séductrice depuis son adolescence, son physique n’a jamais été un handicap pour pouvoir charmer les hommes qu’elle désirait voir dans son lit, au contraire.        
         Elle se rassure en se disant que la froideur naturelle de son corps peut enfin se révéler utile. Peut-être que ses membres gelés l’aideront à combattre l’environnement belliqueux dans lequel elle se trouve. Elle qui se plaignait constamment d’avoir froid aux mains ou aux pieds, elle ne pensait pas qu’un jour, ces derniers seraient si brûlants que se balader sur des braises serait aussi agréable que de fouler la plus douce des moquettes.
Elle a toujours adoré marcher pieds nus. Quel regret que de ne pas avoir mieux entrainé sa voute plantaire à supporter des épreuves réellement dangereuses. Le pire qu’elle ait fait connaître à ses petits petons de femme casanière se résume aux divers objets traînant en bas de son lit, sur lesquels elle marchait immanquablement à chaque réveil. On est très loin du sable brûlant décorant sa peau d’innombrables écorchures.

 

Elle revoit alors les murs roses de son appartement et se met à repenser à sa vie passée. Prendre un bain, faire du shopping, sentir l’odeur de la pluie, éclater lentement du papier bulle, conduire à 200 km/h sur une autoroute vide. Tous ces petits plaisirs qu’elle appréciait tellement, mais aussi les corvées quotidiennes diverses et variées : sortir le chien, faire le ménage et la vaisselle, les discussions entre " amis ", les ballades en amoureux… tout ça, elle ne le reverra surement plus jamais. Elle sait qu’elle a perdu ce qui faisait d’elle une personne unique, avec une vraie personnalité. 
         Désormais, elle n’est plus qu’une entité privée de toute identité, luttant pour sa survie. Adiema, jeune femme citadine accro au poisson pané et à la cigarette n’est plus. Terminé les journées entre copines et les soirées à traîner sur des réseaux sociaux au lieu de se mettre à jour dans son travail. Maintenant, elle n’est plus que l’ombre d’elle-même, perdue au milieu d’un océan de sable ardent et dangereux. Masse informe composée d’os, de chair et de sang, étrangement bien habillée – une robe rouge moulante qu’elle portait lors de soirées chics – pour la situation, elle n’est reliée à la vie que par un simple miracle qui prendra bientôt fin.

 

Elle se remémore les événements qui ont eu lieu ces dernières semaines et qui l’ont menée là où elle se trouve maintenant. Ils défilent à une vitesse folle et sont pourtant d’une précision déroutante. Sa rencontre avec Neir, la découverte fantastique et pourtant si regrettable qui s’en suivit, l’ouverture du pont reliant Nadia et Vera, l’Accusation, le Procès, le Verdict et finalement, l’Exil. Si seulement elle avait exercé un autre métier, si seulement elle n’avait pas oublié ses clés ce jour-là, si seulement elle avait pris le temps de réfléchir plutôt que d’agir sous l’influence de sa passion, rien de tout cela ne serait arrivé. Si elle avait appris à garder sa méfiance naturelle, comme elle l’avait toujours fait avant l’incident, elle n’aurait pas laissé la situation lui échapper. Comment a-t-elle pu être aussi naïve ? Elle a perdu le contrôle sans même s’en apercevoir, et aujourd’hui, exilée en plein cœur du Désert de la Solitude, elle ne ressent plus la douleur harassante infligée par le Soleil. Elle n’est qu’une âme en peine, errant sans but, habitée par la colère, la tristesse et le remord. Elle ne veut plus se battre. Toute sa vie, elle s’est battue, en vain. C’est terminé, elle abandonne.

 

Des larmes se mettent à couler le long de ses joues. À peine ont-elles quitté ses yeux qu’elles s’évaporent dans l’air aride. Peut-être est-ce une impression ou la réalité, mais la chaleur lui semble soudain bien plus grande qu’auparavant. Comme une sorte de regain d’espoir, son instinct de survie l’extirpe de ses pensées autodestructrices et lui permet de continuer à avancer. Elle lutte de toutes ses forces pour ne pas succomber à la douleur fulgurante qui s’empare de son être. Son sang bouillonne et la brûle comme de l’acide.        
         Elle crie alors que le soleil redouble de force pour lui assener un uppercut en plein estomac. Le souffle d’Adiema est coupé. Elle est tétanisée comme jamais elle ne l’a été. Sa vue se trouble progressivement, comme si un brouillard surnaturel envahissait le paysage. L’horizon se déforme en ondulant tel un anaconda impitoyable. Il se resserre autour de son cou et l’étouffe jusqu’à ce qu’elle s’écroule. Tout son corps s’affale et le sable meurtrier profite de l’occasion pour carboniser une grande partie de son corps.        
         Elle tente de se relever, mais sa grande taille et son estomac vide ne l’aident pas à se remettre sur pieds facilement. Déployant le peu de ses forces restantes, elle relève un genou. Sa main appuyée sur le sable la fait souffrir atrocement, mais elle oublie la douleur, et, criant de rage, elle se remet debout. Elle respire difficilement et tout son corps tremble. Elle doit continuer. Ce désert ne sera pas son tombeau !

<< Page précédente | 1 | Page suivante >>

Créer un podcast